L’ex-fleuron français du numérique traverse actuellement une période de transformation majeure après plusieurs années de difficultés financières sans précédent. Avec une dette restructurée de plus de 3 milliards d’euros et un plan de sauvegarde accéléré validé en octobre 2024, Atos tente de retrouver sa stabilité opérationnelle tout en préservant ses activités stratégiques. La société, qui était encore membre du CAC 40 en 2021, affiche désormais une capitalisation boursière drastiquement réduite, mais ses divisions technologiques conservent un potentiel significatif dans des secteurs porteurs comme la cybersécurité et le cloud computing. Cette situation paradoxale interroge sur les perspectives de redressement de l’entreprise et l’évolution future de son action en Bourse.
Analyse financière d’atos : indicateurs clés et métriques de performance 2024
La situation financière d’Atos reflète les défis structurels auxquels fait face l’entreprise depuis 2021. Les résultats du troisième trimestre 2025 révèlent un chiffre d’affaires de 2,38 milliards d’euros, en baisse organique de 2,4% par rapport à la même période de 2024. Cette contraction s’explique principalement par les sorties volontaires de contrats à faible marge et la diminution temporaire de la demande dans certains secteurs publics français, impactés par l’incertitude politique.
Évolution du chiffre d’affaires par division technologique
La répartition du chiffre d’affaires 2024 entre les deux divisions principales d’Atos illustre les dynamiques contrastées de ses activités. Eviden , qui regroupe les activités cloud, cybersécurité et supercalculateurs, a généré 4,604 milliards d’euros, représentant 48% du chiffre d’affaires total. Cette division affiche une progression encourageante de 3,2% au troisième trimestre 2025, portée par la demande croissante en solutions de cybersécurité et les services cloud hybrides.
À l’inverse, Tech Foundations , qui concentre les activités d’infogérance et d’infrastructures informatiques traditionnelles, a réalisé 4,972 milliards d’euros en 2024, soit 52% du chiffre d’affaires. Cette division subit un recul de 5,8% au troisième trimestre 2025, reflétant la phase de recentrage stratégique et les défis du marché de l’infogérance traditionnelle face à la transformation numérique.
Ratio d’endettement et structure du bilan consolidé
Le plan de sauvegarde accéléré a permis une réduction significative de l’endettement net d’Atos, qui s’établit désormais à 1,238 milliard d’euros fin 2024, contre 2,230 milliards en 2023. Cette amélioration résulte principalement de la conversion de 2,9 milliards d’euros de dettes en actions et de l’injection de 233 millions d’euros de nouveaux capitaux. Le ratio de dette nette sur EBITDA, indicateur clé suivi par les agences de notation, devrait progressivement s’améliorer avec l’objectif de descendre sous le seuil de 2x d’ici 2027.
La structure du bilan a été profondément modifiée par cette restructuration, avec un passage du contrôle aux créanciers internationaux, notamment l’américain D.E. Shaw (9-10%), les britanniques Tresidor (6,35%) et Barclays (3,61%), ainsi que les européens ING Bank et Deutsche Bank (5% chacun). Cette nouvelle gouvernance actionnariale soulève des questions sur l’indépendance stratégique de l’entreprise française.
Marge opérationnelle et rentabilité des activités cloud
La marge opérationnelle d’Atos s’améliore progressivement grâce aux premiers effets du plan de transformation Genesis. Au troisième trimestre 2025, elle ressort à 5,1%, en légère progression par rapport au trimestre précédent, soutenue par une meilleure discipline commerciale et une maîtrise rigoureuse des coûts. L’objectif 2025 vise une marge comprise entre 5% et 6%, avant une montée en puissance vers 10% d’ici 2028.
Les activités cloud et cybersécurité d’Eviden affichent des niveaux de rentabilité supérieurs à la moyenne du groupe, bénéficiant de la croissance du marché européen de la cybersécurité, estimée à 10% par an selon les analystes. Cette dynamique positive contraste avec les marges sous pression des activités d’infogérance traditionnelle de Tech Foundations.
Flux de trésorerie libre et capacité d’autofinancement
La gestion de la trésorerie constitue un enjeu crucial pour Atos dans sa phase de redressement. La trésorerie disponible s’élève à 1,7 milliard d’euros, renforcée par une bonne discipline de coûts et la réduction du besoin en fonds de roulement. Le groupe confirme ses objectifs de flux de trésorerie positif d’ici la fin 2025, marquant un tournant après plusieurs exercices de consommation de liquidités.
La capacité d’autofinancement devrait progressivement se normaliser avec la stabilisation opérationnelle et l’amélioration des marges, conditionnée à l’exécution réussie du plan Genesis.
Restructuration stratégique d’atos : spin-off et cessions d’actifs
La stratégie de restructuration d’Atos s’articule autour d’un recentrage sur les activités à plus forte valeur ajoutée et d’une simplification du portefeuille d’activités. Cette approche vise à optimiser l’allocation du capital et à renforcer la position concurrentielle de l’entreprise sur ses marchés stratégiques. Le nouveau dirigeant Philippe Salle a abandonné le projet de scission initialement prévu, privilégiant les synergies entre les divisions.
Séparation de tech foundations et stratégie de désendettement
Contrairement au plan de scission initial qui prévoyait une séparation complète entre Tech Foundations et Eviden, la nouvelle direction privilégie une approche intégrée pour préserver les synergies commerciales. Cette décision stratégique permet de maintenir les opportunités de ventes croisées, notamment lorsque les contrats d’infogérance ouvrent des perspectives pour les solutions logicielles et services cloud d’Eviden.
La stratégie de désendettement s’appuie également sur des cessions d’actifs ciblées. La vente programmée des activités Advanced Computing à l’État français pour 410 millions d’euros, finalisée en juin 2025, représente une opération stratégique majeure. Cette transaction concerne 2 500 salariés et génère un chiffre d’affaires annuel d’environ 800 millions d’euros, principalement liés aux supercalculateurs BullSequana utilisés dans la dissuasion nucléaire française.
Cession d’evidian et impact sur le portefeuille cybersécurité
Le portefeuille cybersécurité d’Atos subit des modifications importantes avec les diverses opérations de restructuration. La division conserve néanmoins ses activités de produits de cybersécurité, spécialisées dans les solutions logicielles et matérielles de chiffrement de données, gestion des identités et des accès. Cette expertise technique reste un atout différenciant sur le marché français de la cybersécurité, où Atos occupe la deuxième position selon les études du cabinet PAC.
L’intégration de ces activités avec les services managés permet de proposer des offres complètes aux entreprises cherchant à sécuriser leur transformation numérique. Cette approche holistique répond aux besoins croissants de souveraineté numérique des entreprises européennes, particulièrement dans les secteurs bancaire et industriel.
Repositionnement d’atos OneCloud dans l’écosystème SaaS
La plateforme Atos OneCloud bénéficie d’un repositionnement stratégique dans l’écosystème des services cloud hybrides. Cette solution permet aux entreprises de gérer leurs infrastructures multi-cloud tout en conservant la maîtrise de leurs données sensibles. Le partenariat renforcé avec Microsoft sur l’intelligence artificielle et le cloud ouvre de nouvelles perspectives commerciales, notamment pour le développement d’agents intelligents destinés à automatiser les tâches administratives.
L’investissement de 80 millions d’euros dans « l’usine du futur » d’Angers témoigne de l’ambition technologique maintenue malgré les difficultés financières. Cette infrastructure doit servir de vitrine pour les capacités d’innovation d’Atos et renforcer son positionnement sur les technologies émergentes comme l’IA générative et l’edge computing.
Valorisation des actifs worldgrid et transition énergétique
La cession de la filiale Worldgrid pour 270 millions d’euros en novembre 2024 illustre la stratégie de valorisation des actifs non-stratégiques. Cette transaction concerne les solutions de gestion intelligente des réseaux électriques, un marché porteur dans le contexte de la transition énergétique. Bien que rentable, cette activité ne correspondait plus au cœur de métier recentré d’Atos.
Cette approche de portfolio management vise à concentrer les ressources sur les activités où Atos dispose d’un avantage concurrentiel durable. La simplification du portefeuille d’activités, ramené de 200 à environ 40 lignes de produits, doit améliorer l’efficacité opérationnelle et la lisibilité de l’offre commerciale.
Positionnement concurrentiel d’atos face à capgemini et accenture
Le marché français des entreprises de services numériques reste dominé par quelques acteurs majeurs, avec Capgemini en tête (4,537 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France), suivi de Sopra Steria (2,808 milliards) et Accenture (2,745 milliards). Atos, avec 1,867 milliard d’euros, occupe la cinquième position selon le classement Numeum-KPMG 2024, reflétant l’érosion de ses parts de marché depuis ses difficultés financières.
Cette position défensive masque néanmoins des forces concurrentielles réelles sur certains segments spécialisés. Dans la cybersécurité, Atos maintient une position de challenger derrière Orange Business, avec des références prestigieuses comme la sécurisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Cette expertise reconnue constitue un différenciateur face aux généralistes américains comme Accenture.
La stratégie de redressement mise sur une approche plus sélective et rentable que celle des concurrents généralistes. Là où Capgemini et Accenture privilégient la croissance de volume, Atos vise l’amélioration de ses marges par l’abandon des contrats à faible rentabilité. Cette discipline commerciale, bien que pénalisante à court terme pour les volumes, doit permettre une amélioration structurelle de la profitabilité.
La différenciation d’Atos repose sur sa capacité à proposer des solutions souveraines européennes, particulièrement valorisées dans le contexte géopolitique actuel et les enjeux de protection des données sensibles.
Transformation digitale et offre technologique post-restructuration
L’offre technologique d’Atos se restructure autour de trois piliers principaux : les services d’infogérance modernisés, les solutions de cybersécurité souveraine et les technologies de calcul haute performance. Cette stratégie répond aux besoins de transformation digitale des entreprises européennes tout en capitalisant sur les atouts technologiques historiques du groupe. Le plan Genesis prévoit le développement d’une troisième activité de conseil, qui sera lancée sous une nouvelle marque fin 2025.
Solutions d’intelligence artificielle et plateforme BullSequana
Malgré la cession programmée des supercalculateurs à l’État, Atos conserve une expertise significative en intelligence artificielle à travers ses partenariats stratégiques. Le groupe développe deux « factories » d’agents intelligents : une européenne s’appuyant sur l’IA de Mistral AI, et une américaine utilisant les technologies IA américaines. Ces usines numériques visent à automatiser les processus administratifs des entreprises, créant de nouvelles opportunités sur le marché du Business Process Outsourcing (BPO).
La plateforme BullSequana, bien que destinée à l’État, continue d’alimenter l’expertise d’Atos en calcul haute performance. Cette technologie trouve des applications civiles dans la recherche scientifique, la météorologie et l’optimisation industrielle. Le maintien de cette compétence technologique différenciante renforce la proposition de valeur d’Atos face aux concurrents purement orientés services.
Services managés hybrides et migration cloud multiplateforme
L’évolution des services managés d’Atos intègre les enjeux de migration cloud multiplateforme et de gestion hybride des infrastructures. Cette approche répond aux besoins des entreprises européennes cherchant à réduire leur dépendance aux hyperscalers américains. Les data centers européens d’Atos positionnent l’entreprise comme alternative crédible pour l’hébergement de données sensibles.
Le partenariat avec Microsoft sur le cloud et l’IA ouvre de nouvelles perspectives commerciales, notamment pour les entreprises souhaitant bénéficier des technologies américaines tout en conservant un interlocuteur européen. Cette stratégie de « trusted partner » permet de concilier performance technologique et souveraineté numérique, enjeu croissant pour les organisations européennes.
Cybersécurité souveraine et certifications ANSSI
Les activités de cybersécurité d’Atos bénéficient de certifications ANSSI qui renforcent sa crédibilité sur le marché français. Cette reconnaissance officielle constitue un avantage concurrentiel face aux acteurs purement privés, particulièrement pour les contrats publics et les secteurs régaliens. La filiale Ipsotek, spécialisée dans la vision artificielle, complète cette offre avec des solutions déployées dans les infrastructures critiques.
La croissance du marché européen de la cybersécurité, estimée à 10% par an, offre des perspectives favorables pour cette division. Les entreprises européennes renforcent leurs investissements sécuritaires face aux menaces croissantes et aux obligations réglementaires comme RGPD et NIS2. Cette dynamique positive contraste avec la stagnation de certains segments tradit
ionnels.Le positionnement souverain d’Atos sur la cybersécurité trouve un écho particulier dans les préoccupations actuelles des entreprises européennes. La migration progressive des données sensibles vers des solutions sécurisées européennes représente une opportunité structurelle pour l’entreprise, même si cette transition reste financièrement coûteuse pour les clients.
Perspectives boursières et valorisation de l’action atos
L’action Atos présente un profil d’investissement hautement spéculatif après la restructuration financière de 2024. Avec un regroupement d’actions de 10 000 pour 1 effectué en mars 2025, le titre affiche désormais un cours unitaire autour de 50 euros, masquant la dilution massive subie par les actionnaires historiques. Cette opération technique vise à restaurer une image plus crédible en sortant de la catégorie des « penny stocks ».
Analyse technique du cours et niveaux de support clés
L’analyse technique révèle un titre évoluant dans une fourchette de volatilité entre 27 et 62 euros depuis le regroupement d’actions. Le niveau de support critique se situe autour de 49 euros, seuil psychologique important pour la dynamique haussière. Une cassure durable de ce support pourrait déclencher une correction vers 34 euros, correspondant au prochain niveau de soutien technique significatif.
À l’inverse, une consolidation au-dessus de 49 euros ouvrirait la voie vers une résistance majeure à 61-62 euros. Un franchissement net de cette zone pourrait propulser le cours vers 70 euros, objectif technique ambitieux compte tenu du contexte fondamental. La volatilité reste élevée, amplifiée par les annonces de résultats et les évolutions du plan de restructuration.
Les volumes de transaction demeurent faibles, reflétant la prudence des investisseurs institutionnels face aux incertitudes opérationnelles. Cette faible liquidité amplifie mécaniquement les mouvements de cours, créant des opportunités pour les traders aguerris mais augmentant les risques pour les investisseurs de long terme.
Consensus des analystes goldman sachs et morgan stanley
Le consensus des analystes financiers reste divisé sur les perspectives d’Atos, reflétant l’incertitude entourant l’exécution du plan de redressement. Les maisons d’investissement adoptent généralement une approche prudente, privilégiant des recommandations « Neutre » ou « Sous-performer » en attendant des preuves tangibles d’amélioration opérationnelle.
Invest Securities retient un objectif de cours de 1 centime pour l’action, illustrant le scepticisme du marché quant aux perspectives de redressement. Cette valorisation extrême reflète les risques de dilution supplémentaire et les défis structurels auxquels fait face l’entreprise. Les analystes soulignent néanmoins le potentiel de surprise positive en cas de succès du plan Genesis.
Les révisions d’objectifs restent fréquentes, tributaires des publications trimestrielles et des annonces stratégiques. Cette instabilité des recommandations traduit la difficulté d’évaluer une entreprise en pleine transformation, oscillant entre scénarios de redressement et risques de démantèlement progressif.
Impact de la dette sur le multiple EV/EBITDA
La valorisation d’Atos par les multiples traditionnels reste complexe en raison de la restructuration financière et des variations importantes de l’EBITDA. Le multiple EV/EBITDA, indicateur clé pour les entreprises de services, s’avère peu pertinent dans le contexte actuel de marges operationnelles volatiles et de structure de capital en mutation.
L’entreprise value (EV) intègre désormais une dette restructurée avec des échéances repoussées à 2029, modifiant significativement les paramètres de valorisation. Cette nouvelle configuration financière améliore théoriquement la solvabilité à court terme mais maintient une pression importante sur la génération de trésorerie libre.
Les investisseurs privilégient aujourd’hui les métriques de trésorerie et de solvabilité plutôt que les multiples de valorisation classiques. Cette approche prudente reflète la nécessité pour Atos de prouver sa capacité à générer des flux positifs avant de retrouver une valorisation normalisée sur les marchés.
Potentiel de redressement et scénarios de sortie de crise
Le potentiel de redressement d’Atos repose sur trois piliers fondamentaux : l’exécution réussie du plan Genesis, la stabilisation de la base clientèle et l’amélioration progressive des marges opérationnelles. Le scénario optimiste table sur un retour à 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 10% de marge opérationnelle d’ici 2028, objectifs ambitieux mais réalisables selon la direction.
Les scénarios de sortie de crise varient selon l’évolution concurrentielle et la capacité de l’entreprise à innover. Une consolidation sectorielle pourrait voir Atos devenir une cible d’acquisition pour un acteur mieux capitalisé, valorisant ses actifs technologiques et sa base clientèle. À l’inverse, un échec du redressement pourrait conduire à un démantèlement progressif des activités.
L’avenir d’Atos dépendra largement de sa capacité à convaincre le marché de la viabilité de son modèle économique post-restructuration et de l’attractivité de ses solutions dans un environnement technologique en évolution rapide.
Pour les investisseurs actuels, la patience sera de mise car il est peu probable que les actionnaires historiques retrouvent leurs niveaux d’investissement initial avant plusieurs années. Néanmoins, les nouveaux entrants bénéficient d’un point d’entrée potentiellement attractif si le plan de redressement porte ses fruits. Cette dichotomie illustre la nature hautement spéculative de l’investissement dans Atos, réservé aux profils d’investisseurs avertis et diversifiés.
